Citation de Pablo Neruda

dimanche 26 octobre 2008

Naissance

Ñ

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]


Ricardo Eliecer Neftalí Reyes Basoalto à deux ans


Là où naît la pluie

Naquit un homme
parmi tant d'autres
qui naquirent,
j'ai vécu parmi bien des hommes
qui vécurent,
ne parlons pas d'histoire
mais de terre,
la terre centrale du Chili, cette terre où
les vignes ont frisé leurs vertes chevelures,
où le raisin se nourrit de lumière,
où le vin naît des pieds du peuple.

Parral est le pays
de celui qui naquit
en hiver.

Disparues
la maison, la rue :
la cordillère a lâché
ses chevaux,
la puissance
profonde
s'est accumulée,
les montagnes ont bondi
et le village s'est écroulé,
s'est enfoncé
dans un tremblement de terre.
Et ainsi les murs d'argile,
les portraits pendus aux murs,
les meubles éclopés
dans les salles ténébreuses
et le silence que les mouches entrecoupent,
tout est redevenu
poussière ;
seuls quelques-uns d'entre nous gardent
forme et sang,
quelques-uns seulement, le vin aussi.

Le vin, lui, est resté vivant,
il est monté jusqu'au raisin
égrené
par l'automne
vagabond,
pour redescendre aux sourds pressoirs,
aux barriques
qui ont pris la couleur de son doux sang,
et là sous l'effroi
de la terre terrible
il est resté nu et vivant.
[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]
Je ne garde le souvenir
du paysage ni du temps,
ni des visages, des silhouettes,
rien que la poussière impalpable,
la traîne de l'été
et le cimetière où
on m'emmena
voir parmi les tombes
le sommeil de ma mère.




Rosa Basoalto Opazo, mère de Neruda,

morte à 39 ans, deux mois après la naissance du poète.


Et parce que je n'avais jamais vu
son visage
je l'appelai parmi les morts,
mais elle n'a rien répondu
- les enterrés ne peuvent savoir ni entendre -
et elle est restée seule, sans son enfant,
farouche et évasive
parmi les ombres.

Et moi je suis de là, de ce Parral
à la terre tremblante,
une terre que couvre le raisin,
le raisin né
de ma mère dans sa mort.
Mémorial de l’île noire, 1964, page 9-11,
traduits de l'espagnol par Claude Couffon
Broché, 1977, Gallimard, POESIE

Aucun commentaire: